Résumé des épisodes précédents : Bon, ben là, on était partis chercher de quoi exterminer nos clones, et on était arrivés en sous-marin dans une cité sous
marine.
Je suis une merde. Je ne suis pas un homme. Je suis moins qu’une huître du banc des Hermelles. Je suis à peine digne du nom d’être vivant. Je ne suis rien. Pierre… comment ai-je pu te laisser
entre les griffes de ces démons ? La vue de ton corps démembré, déchiqueté, mis en charpie, écrabouillé, mâchouillé par des gueules immondes, déshonoré par des membres siffrediens et
verruqueux (dans cet ordre, dieu merci) hantera mes cauchemars jusqu’à la fin de mes jours…
Pierre ! Ton héroïsme sera célébré des millénaires durant, je te le jure ! Ta vaillance jusqu’à la fin, ta persistance, même sous la torture, à ne pas proférer autre chose que Aaaargh, sera chantée jusqu’à la fin des temps ! J’irais chercher des trouvères et des troubadours, j’en formerai s’il n’en existe plus, je débaucherai Johnny Hallyday, je ressusciterai Serge Gainsbourg s’il le faut, mais je te le promets, ton sacrifice n’aura pas été vain. Mon premier fils, je l’appellerai Pierre, mon second aussi, puis mes filles aussi, et mon chien et mes lapins et mes poissons rouges pour que jamais ton souvenir ne périsse !
Je ferai tourner un film sur ta vie par Steven Spielberg, ton rôle sera joué par Tom Selleck (je sais que tu étais fan de Magnum, Pierre), je ne vois pour le mien, si même on peut l’intégrer au scénario (mais comment ne le pourrait-on ? Je suis la cause de ta perte…) que Danny de Vito, tes femmes (elles se reconnaîtront, je n’en doute pas) seront jouées par Catherine Zeta-Jones, Monica Bellucci, Cameron Diaz, Josiane Balasko (je te laisse deviner laquelle, traîtresse !), Cécile de France, Zhang Ziyi, Whoopy Goldberg, Scarlett Johansson et Charlotte Gainsbourg (pour celles d’Agrocampus), tes amis seront interprétés par Sean Connery, Harrison Ford, Arnold Schwarzenegger, Sean Penn, Johnny Depp, Romain Duris…
Je ferai réaliser ta biographie en BD, les dialogues seront de Larcenet, les dessins de Bourgeon, les couleurs de Masbou !
Je changerai mon nom, je fonderai une compagnie de beignets de poulpes qui s’appellera Blavy Gump, j’inventerai pour toi un vaccin contre le cancer, et il s’appellera Blavocyne, je créerai une boîte de dentifrice nommée Pierrogencyl, je lancerai une boîte de shampoing et il s’appellera Peter’s Friend !
Si tu savais comme je regrette, Pierre…
*Flash Back*
Notre sous-marin, lentement mais sûrement, s’approchait du centre de la ville. Les rues dans lesquelles nous circulions étaient de plus en plus étroites, et la lumière rougeâtre qui y régnait se faisait plus intense et pulsait sur un rythme qui me rappelait celui du Tango de la Muerte, composé par don Diego della Centauri (en gros, ça faisait pam pampampam pam, papapapapam pampampam pam, mais au lieu d’accords de bandonéon déchirants, on entendait les pulsations lumineuses. Je crois que l’ivresse des profondeurs se manifestait méchamment puissamment sur nous, de manière encore plus efficace qu’un mojito sur une halieute hippopotamophile).
Autour de notre appareil, les créatures se pressaient pour mieux nous voir, nous empêchant d’apercevoir quoi que ce soit précisément. Pierre semblait comme en transe, il dirigeait sans hésitations le sous-marin au milieu de la foule, faisant quelques appels de phares de temps en temps pour dégager le chemin.
Soudain, il n’y eut plus rien devant nous, qu’une falaise immense percée d’une faille circulaire d’où semblait provenir une lumière sourde. Une petite voix, souvenir fugace de prépa me souffla que c’était sans doute un passage vers une ancienne chambre magmatique, puis une autre lui intima de fermer sa gueule. Le spectacle se passait très bien de commentaires, de la même manière qu’on se passe très bien de savoir ce qu’un cuisinier met VRAIMENT dans la bouillabaisse ou un éleveur dans la nourriture de ses poules.
Je me perdis dans la contemplation de cet orifice béant, semblable à la gueule d’un Léviathan fossilisé, un paysage resté probablement dans cet état depuis des siècles… Un spectacle que nous devions être les premiers humains à contempler, une vision d’un monde inconnu jusqu’alors… Au bout de quelques instants, un profond ennui me saisit. C’est pas que j’ai pas la fibre poétique, mais bon, du caillou ça reste du caillou, et ça a une vie assez peu passionnante.
(*jingle* Pause publicitaire : sauf bien sûr celle de Caillou, un des héros de la BD Lapin, les aventures passionnantes d’un lapin moche en tissu pourri, de Phiip, que vous trouverez sur www.lapin.org
Avec en prime Lapin, Lapin, Ourse Verte, leur enfant Sooper, Y. (yaourt passé maître dans l’art du sabre laser), et bien d’autre…fin de la pause publicitaire *jingle*)
Je me retournai vers Pierre pour lui demander quand est-ce qu’on s’en allait (je sais que ma tournure est incorrecte, mais mettez-vous à ma place, l’émotion m’étreignait la poitrine, je n’avais pas le temps de réfléchir à la grammaire), mais il n’était plus aux commandes : il avait jeté l’ancre (ou ce qui en tient lieu sur un sous-marin, je n’y connais rien, je suis plus doué en conduite de carriole à bras), avait ouvert un compartiment dont je n’aurais jamais soupçonné l’existence, en avait extrait une combinaison rouge qu’il enfilait.
Pierre ! m’exclamai-je d’un ton suraigu (ce n’était pas de la panique, c’était juste à cause de la profondeur, hein !), tu ne songes pas à sortir avec ce truc, quand même ?
Il leva vers moi un regard vide. Je voulus lui saisir le bras pour l’empêcher de sortir, mais à son contact, une chose étrange se produisit : je me mis à voir par les yeux de Pierre.
Je distinguai nettement les petites veines éclatées dans mon regard fou, mes pores béants suintant d’une sueur âcre et froide entre les poils de ma barbe, le reste de peau de saucisson entre mes deux incisives inférieures…
Je le relâchai et trébuchai en arrière, m’assommant contre la porcelaine du bidet (les Suisses qui avaient conçu ce sous-marin avaient bizarrement suivi les normes européennes sur l’hygiène et la parité dans la Marine).
Lorsque je repris conscience, quelques instants plus tard, Pierre était sorti et ma vision s’était un peu améliorée : je ne voyais plus par ses yeux, mais par des yeux qui le suivaient à courte distance (aparté technique: pas mal la pirouette hein ? comme ça pas besoin de dire comment Pierre est sorti sans remplir le sous-marin d’eau, et en plus je vais pouvoir décrire ce qui va lui arriver, enfin ce qui lui est arrivé, je vous rappelle que c’est un flash-back si vous suiviez pas).
Pierre, marchant au ralenti dans ses bottes à semelle de plomb, s’introduisit péniblement dans la fente géologique.
Il marcha. Marcha. Marcha encore.
Et au bout du tunnel se trouvait une excavation immense, aux parois lissées par le frottement d’un corps titanesque. Et Pierre vit la Bête. Et son esprit se remplit d’une terreur révérentielle, car à cet instant, il sut que devant lui se dressait Cthulu l’indicible, Cthulu, l’être suprême, venu par delà les mondes connus, venu sur Terre en traversant l’éther, et plongé dans un sommeil plus profond que les océans de Glapum’t. Cthulu, qui, instillant ses rêves dans les esprits les plus sensibles et réceptifs, a engendré des êtres dont la folie fait frissonner d’une terreur ancestrale, une terreur qui nous a fait émerger de la boue pour y échapper, qui nous a façonnés, qui a créé l’espèce humaine. Cthulu, dont la seule vue aurait dû plonger Pierre dans une démence hurlante, le poussant à s’arracher les yeux des orbites, suite à la perte de 50 points de santé mentale.
Par chance, il n’en avait plus aucun.
Pierre se dirigea donc vers la tête de la bête, et dégagea sa glande à noir (ou quel que soit son nom, les cours de bio sont flous dans ma tête) d’un amas de tentacules, puis brancha dessus un objet qui ressemblait furieusement au vaporisateur qu’on utilisait pour arroser notre bégonia (on ne vous l’avait pas dit, mais on avait un joli bégonia rouge dans notre tente. Dans un pot en terre. On le sortait dans la journée pour lui faire prendre l’air, et Pierre l’arrosait tous les soirs. Avec un vaporisateur).
Une fois l’appareil rempli, Pierre se dirigea vers la sortie. Et c’est là que se produisit le drame.
Une horde de créatures démoniaques, en embuscade à l’extérieur de la grotte, se ruèrent sur Pierre.
Vaillamment, il tenta de résister, balança un ou deux coups de poings, mais, entravé par l’eau et la combinaison, il n’avait aucune chance de les blesser. Il tenta tout de même, il se débattit, mais peine perdue. Comme indiqué plus haut, il fut alternativement démembré, déchiqueté, mis en charpie, écrabouillé, mâchouillé par des gueules immondes, déshonoré par des membres siffrediens et verruqueux, le tout devant mes yeux écarquillés d’horreur. Je voulus intervenir, mais (entre le démembrement et le déchiquetage) Pierre me lança un regard suppliant, qui voulait dire : « Non, n’interviens pas. Ils ne t’ont pas vu, ils ne te feront pas de mal. Fuis, fuis pendant qu’il en est encore temps, fuis, pauvre fou ! »
Alors, je fuis.
*Retour au présent*
Mes yeux mouillés de larmes m’empêchent de bien voir. J’ai bientôt franchi les limites de la ville, mais j’ai du mal à manœuvrer. Je crois que je ne m’en sortirai pas sans Pierre…
Clong clong clong.
On frappe sur le sous marin ? Je regarde dans le hublot arrière.
C’est Pierre ! Je stoppe le sous-marin et lui ouvre le sas extérieur. Après avoir vidangé et repressurisé, j’ouvre le sas intérieur et me rue dans ses bras. Il me repousse avec rudesse.
-Et ben, t’es gonflé, dis donc ! T’aurais pu m’attendre ! Tu crois que c’est facile de courir avec ces grolles ?
-Mais… Ce regard que tu m’as lancé pendant que tu te faisais démembrer…Il signifiait clairement que tu me poussais à partir, à sauver ma peau !
-Hein ? Je te faisais juste signe d’attendre un instant que j’aie fini de serrer la main à tout le monde. Où tu es allé chercher cette histoire de démembrement ?
-lls te serraient la main ? J’ai dû mal voir… Aussi, l’éclairage était pas top. J’imagine que je me suis fait un film. Désolé de t’avoir laissé, vraiment. Mais je suis content que tu sois là, l’aventure va pouvoir reprendre finalement !
Francis