Chers amis apprentis marmitons, j'ai pour vous un secret. Un secret que les professionnels se passent de génération en génération de bouche de chef à oreille de chef.
La cuisine, c'est la sauce. Il n'y a que la sauce. Tout le reste, c'est de la chair morte et des organes végétaux. La sauce, voilà ce qui importe. Que serait la tête de veau sauce gribiche sans sauce gribiche ? Le coq au vin sans sauce au vin ? Le bœuf miroton sans miroton ? Le kebab sans sauce blanche ? De biens tristes choses en vérité, et bien pathétiques.
C'est pourquoi notre leçon d'aujourd'hui portera sur une sauce. Et pas n'importe quelle sauce ! Car c'est bien le secret de la sauce qui m'a valu partout où je vais le surnom de Saucemaster : la vinaigrette. Car la vinaigrette est l'âme d'innombrables plats, depuis la salade jusqu'au poireau-vinaigrette, sans oublier la salade.
Accrochez-vous bien, nous allons commencer. Vous êtes prêts ? Vous avez mis votre petit tablier, vos chaussures de sécurité et vos lunettes de protection ? Allons-y.
Premièrement, munissez-vous d'un bol. Quel genre de bol ? Allons, faites preuve d'initiative. Adaptez-le à la quantité de vinaigrette que vous avez l'intention de faire dedans (car c'est bien à cela qu'il vous servira). Evitez de prendre un bol trop plat, parce qu'après, quand il faut mélanger (il faudra mélanger, désolé de vous spoiler les paragraphes suivants, mais il faut le savoir avant de vous lancer), vous risquez d'en mettre partout et ça tache, notamment à cause des propriétés lipidocrasseuses de l'huile qui a tendance à gicler quand elle est agitée, par exemple lors d'un mélange mais ne nous précipitons pas.
Une fois que vous avez un bol de la bonne taille, attrapez dans votre placard votre bouteille de vinaigre, car qui dit vinaigrette dit vinaigre. De vin. Puisque ça s'appelle vinaigre. Posez-la sur le plan de travail, je me suis trompé. En fait, il vous faut d'abord prendre le pot de moutarde qui est dans le frigo. S'il est dans un placard, inutile de le mettre au frigo avant de le prendre. C'est juste que chez moi, la moutarde est au frigo, pour la protéger des mites à moutarde. Pour une efficacité optimale, optez pour de la moutarde forte moderne, pas cette saleté de moutarde à l'ancienne inventée par les marketeurs de chez Amora. Une bonne moutade forte, dans un pot en forme de verre, qui pourra ensuite vous servir de verre. S'il y a des dessins d'Astérix dessus, c'est encore mieux, même si ça ne présage pas de la qualité de la moutarde, ça fera des chouettes verres à eau pour vos petits (si vous avez des petits ou espérez en avoir un jour).
Attrapez une cuillère à soupe. Ce sont les grosses cuillères, à côté des couteaux dans le tiroir à couverts. Attention ! Vérifiez bien qu'elle soit propre. Si elle ne l'est pas, vérifiez le bon fonctionnement de votre lave-vaisselle. Quand avez-vous fait le dernier contrôle technique ? Avez-vous remis de l'huile ? Si vous n'avez pas de lave-vaisselle, le moment est venu de s'expliquer un coup avec votre moitié qui a encore fait n'importe quoi, c'est pourtant pas compliqué d'utiliser une éponge, merde, ET REGARDE MOI QUAND JE TE PARLE JE SUIS PAS TA BONNICHE BON SANG C'EST TOUJOURS PAREIL AVEC TOI MERDE À LA FIN ALLEZ FOUS-MOI LA PAIX J'AI UNE VINAIGRETTE À FINIR MOI PENDANT QUE TU TRAINES SUR FACEBOOK.
Bref. Si la cuillère est sale, nettoyez-la. Plongez la avec délicatesse dans le pot de moutarde (en la tenant par le manche), et extrayez-la une fois qu'elle est pleine de moutarde. Pas trop trop pleine, on va faire une petite vinaigrette pour commencer, des fois qu'elle serait loupée.
C'est bon ? Maintenant, il s'agit de verser la moutarde dans le bol sans en mettre partout dans la cuisine. Comme la moutarde a tendance à s'accrocher à la cuillère, c'est pas forcément évident. L'erreur à éviter est d'agiter trop fort la cuillère pour décoller la moutarde (ce qui peut arriver, par réflexe, d'où les lunettes de protection). Ce n'est pas si grave que ça s'il reste un peu de moutarde collée à la cuillère. Il faut savoir relativiser, dans la vie.
Reprenez la bouteille de vinaigre. Si vous êtes droitier, prenez la dans la main droite. Si vous êtes gaucher, faites ce qui vous semble le mieux (étant normal, je n'ai aucune idée de la technique que peuvent utiliser les gauchers). De la main gauche (pour les droitiers), tenez fermement votre cuillère avec ses résidus de moutarde au-dessus du bol. Inclinez lentement la bouteille de vinaigre, avec la dignité qui sied à la tâche. Si tout se passe bien, le vinaigre devrait couler dans la cuillère. Si un peu de vinaigre coule dans le bol, ne vous en préoccupez pas. Si beaucoup de vinaigre coule dans le bol, jetez son contenu aux cabinets, rincez le bol, et reprenez à l'étape moutarde.
Une fois la cuillère remplie, renversez-la dans le bol. Par-dessus la moutarde, oui. Réitérez l'opération afin d'avoir le contenu de deux cuillères de vinaigre dans le bol.
Prenez ensuite la bouteille d'huile dans votre placard à huiles. Pour vous souvenir de quelle huile il faut vous servir, utilisez ce petit poème mnémotechnique (déposé sous licence CreativeCommons) : De l'huile de tournesol, ça va mais c'est pas fol, du colza ? Pourquoi pas, de l'huile d'olive, c'est moins rébarbative. Ce qui signifie : prenez plutôt de l'huile d'olive, à moins que vous ne préfériez le tournesol ou le colza (quoique pour le colza, je n'en ai aucune idée. C'était pour la rime que je l'ai inclus).
Maintenant, faites comme pour le vinaigre, mais avec quatre cuillerées. Dans le bol, toujours, oui.
Ensuite, reprenez votre cuillère dans la main droite – si vous êtes toujours droitier – et servez-vous en pour mélanger huile, moutarde et vinaigre dans une joyeuse sarabande mélangière. Je trouve que c'est plus facile de mélanger dans le sens des aiguilles d'une montre, mais vous avez tout à fait le droit de faire en sens inverse, et même de changer de temps en temps.
Remuez remuez remuez jusqu'à ce que ce soit bien mélangé. À cet instant, ça doit ressembler à de la vinaigrette. Mais vous avez oublié le sel et le poivre ! Allez donc les chercher, et mettez-en un peu mais pas trop dans votre sauce. Remélangez, sinon ça sera laid, vous aurez quelques grains de sel et de poivre flottant tristement à la surface de votre vinaigrette.
Et voilà ! (en français dans le texte) Vous avez réalisé une vinaigrette qui saura charmer tous vos invités. Une fois que vous aurez bien maîtrisé le bouzin, vous pourrez même vous permettre des petites folies, rajouter de l'ail et du basilic haché, tout ça, ça fait super pro. Comme de mélanger huile de tournesol et d'olive, comme le faisait ma nounou marocaine qu'est la meilleure cuisinière du monde et qui m'a tout appris sur la vinaigrette. Mais vous êtes pas obligés, hein ! Vous êtes libres, maintenant, et le monde est à vous.
Un monde sans salade sèche et fade. Un monde meilleur. Pour toujours.
Bon vent, camarade. Bon vent.