Fut un temps, j'écrivais comme un cheval fougueux. Mon clavier était une verte et souple prairie sur laquelle galopaient les sabots de mes doigts, tagadap, tagadap.
Hélas, ce temps est bien révolu. Est-ce l'âge ? La décennie nouvelle m'aurait-elle irrémédiablement rongé la cervelle de ses petites dents aiguës ? Il y a quelques mois encore, j'avais des idées. Parfois. De temps en temps. Une phrase, au moins. Qui en entraînait une autre, parfois. Je me levais la nuit, m'extrayais de mes draps collants pour tapoter fiévreusement trois mots sur mon écran.
Puis je les contemplais. Bon sang, qu'ils étaient beaux. Des mots comme « les sabots de mes doigts, tagadap ». Les larmes m'en montaient aux yeux. Le talent était là, sur mon ordinateur, il irradiait ma chambre d'une lueur glauque et transperçait mon âme, et je poussais un soupir, long et lourd, chargé du bonheur de me savoir bon. Ha. HA. J'allais faire quelque chose de ma vie. De mes mots. C'était sûr. Je refermais mon écran sur mes trois lignes de génie, et j'allais me recoucher sans sauvegarder.
Cette époque bénie est bien loin, maintenant. Mon clavier n'est plus une verte et souple prairie, c'est une route mal pavée, et j'écris dessus comme une trotinette aux pneux crevés. Pfff.
Pourtant, il y a peu, j'avais encore de l'espoir. J'avais prévu de prendre une résolution, pour 2015. J'allais écrire une super note de blog au moins tous les mois. Une note qui allait faire plus que repousser d'une main tremblotante le spectre de la publicité imposée aux lecteurs égarés. Une note qui repousserait d'un poing d'airain les frontières de la littérature blogosphérique, qui imposerait à l'internet l'évidence qu'une génération nouvelle était là pour prendre le pouvoir et reléguer aux placards du ringard tous ces tâcherons bien coiffés qui sourient au-dessus de flaques fumantes de vomi dans les couloirs du métro.
Finalement, non. Je passe des journées mornes, devant mes deux écrans au boulot, devant mon seul écran à la maison, je corrige des articles, j'envoie des mails, je fais réchauffer des raviolis, et je discute avec des gens, dont certains me disent « ha ben c'est dommage que t'écrives plus rien, c'était bien quand t'écrivais des trucs », à quoi je ne peux qu'acquiescer, répondre par un petit mot bien tourné et plein d'autodérision, avant de m'effondrer, en sanglots, sur mon clavier. La morve me coule dans la barbe tandis que je tente de reprendre ma respiration entre deux spasmes qui me déchirent la poitrine.
Halala. Je vais réussir à me faire pleurer, tiens.
Bref. Si c'est pas malheureux, tout ça, je sais pas ce que c'est. Mais bon, peut-être qu'un jour, ça reviendra. Mais je préfère me dire que non. Que c'est fini. Pour toujours. À jamais. Que j'ai raté ma chance. Que je suis sur la pente descendante. Qu'elle est verglacée et que je porte mes vieilles chaussures de rando, celles avec les lacets cassés et les semelles toutes lisses. Vous ne voyez sans doute pas de quoi je parle mais elles tiennent pas du tout sur les pentes descendantes, du coup ça renforce la métaphore. Elles sont un peu marrons, pour vous donner une idée.
Et donc voilà voilà. Je préfère être pessimiste, comme ça, quand tout ira mieux, je serai vachement plus content. Et maintenant, je vais me couper une tranche de saucisson.
Ha, et bonne année, au fait.