J’ai honte. Ma famille est composée de faibles. Des minables, qui s’écrasent à la moindre occasion, qui évitent soigneusement de se faire entendre alors même qu’on les spolie, qu’on les écrase, qu’on les traîne dans la boue, voire même qu’on les attaque physiquement.
Pitoyables.
Y’a vraiment pas d’autres mots.
Prenons mon baron, par exemple. Homme de gauche, du moins dans ses votes, sinon dans sa pensée. Il y a quelques semaines seulement, il avait l’occasion de voler au secours d’une de ses collègues, rabrouée par Rachida D., ministre français dont nous tairons le nom. Mme D., fumasse, se plaignait de ne pas avoir reçu de formulaire de coopération entre la justice française et celle du pays où travaille mon popa (que je ne nommerai pas, j’ai trop honte). Ben mon popa, il aurait pu se jeter à son secours et humilier Mme D. en lui faisant remarquer que le formulaire, il l’avait envoyé, il l’avait d’ailleurs téléchargé sur le site du ministère dont elle est responsable, et dont il ne dépend pas. Il a eu les foies. Lamentable.
Le même personnage (mon popa), au restaurant, commande des tomates mozzarella comme entrée (avant une andouillette. Il est comme ça mon popa). D’ailleurs, on fait pareil avec ma moman, parce qu’ils ont plus de terrine de campagne.
La serveuse arrive, annonce « tomates mozzarella !», pose trois assiettes devant nous, on regarde nos assiettes, on se dévisage, on reregarde nos assiettes : effectivement, il y a de la mozzarella, un demi-œuf, de la salade, des fines herbes, de l’huile d’olive, mais de tomates, pas la queue d’une dans l’assiette, même en cherchant bien dans les coins, sous le fromage et la feuille de salade. Ca surprend, pour une tomate-mozzarella, quand même. Certains diront même que c’est inacceptable. A raison. Ces gens-là feront un scandale, demanderont à être remboursés, jetteront leur serviette par terre et quitteront dignement ce rade infâme en pestant contre la publicité mensongère et en promettant d’écrire au journal des consommateurs, et qu’ils ont des relations et qu’ils feront fermer ce boui-boui.
Chez moi, non. On demande gentiment à la serveuse (la même qui, en arrivant avec son carnet et nous annonçant « je vous écoute », est partie avant qu’on ait le temps de dire un mot) si c’est normal qu’il y ait pas de tomates dans le tomate-mozzarella, et en rigolant pour bien montrer que c’est pas si grave. Lamentable, une fois de plus.
Si ça se cantonnait aux parents. Mais non. Mon cousin, au Starbucks, se fait renverser une pinte entière de moka, avec de la crème fouettée dessus en plus. Un moka qu’il se faisait une joie de s’enquiller, ayant réussi à l’obtenir en remplacement d’un espèce de café goût cerise infâme (je crois que c’était l’arôme crème brûlée, un truc qu’ils projettent dans leurs tasses en polystyrène depuis une espèce de bouteille de mayonnaise de cantine pleine de liquide poisseux aux odeurs bizarres, en tout cas je retournerai pas au Stabucks, y’a que le jus d’orange de bon). Heureusement que c’était tiédasse, parce qu’il a été couvert depuis le pubis jusqu’aux genoux, sur les deux jambes. N’importe qui de sain d’esprit avec un tant soit peu d’amour propre se serait levé d’un bond, aurait hurlé, engueulé le fautif (mon popa), crié « ha putain un futal tout neuf de chez Marks and Spencer », et se serait essuyé à la hâte avant de partir en tenant son manteau devant sa tache.
Mon minable de cousin, lui, se contente de « ha, merde », s’essuie, répond aux confuses de mon popa par « ouais mais nan, c’est pas grave », et ne s’énerve même pas contre ma sœur et moi qui nous marrons comme des baleines sans la moindre compassion. Et il signale la flaque de moka au serveur. Si c’est pas du gâchis, ça. Une si belle colère potentielle, même pas il en profite. Gros nul.
Et c’est mon cousin.
Mais je sauverai l’honneur de la famille, seul, je me lèverai et mènerai la lutte contre un pouvoir irresponsable contre lequel personne n’ose lever la voix, alors même que tout un chacun a pu constater ses errements et ses erreurs.
Oui, c’est bien à vous que je m’adresse, monsieur Delanoë, maire de Paris.
Car vous, qui en avez le pouvoir, ne faites rien pour régler un problème qui se pose aux parisiens depuis des temps immémoriaux. Je parle bien sûr du dallage des trottoirs. Ceux-ci sont inconcevablement mal conçus : il est tout à fait impossible à un être normal de marcher sur les dalles en évitant les rainures sans adopter une démarche grotesquement saccadée et peu confortable. Et je ne parle même pas des pavés, qui nous forcent à marcher sur la pointe des pieds, sans quoi les rainures sont inévitables, avec les conséquences que l’on connaît (chute dans des ravins sans fonds, attaques de crocodiles ou d’ours aux dents aiguisées…).
Je demande donc, que dis-je, j’exige donc la mise au point d’un dallage de taille adaptée à la taille standard des pieds parisiens et à la longueur moyenne de la foulée parisienne. C’est pourtant pas si compliqué de faire des dalles 25 ou 30 % plus grandes que ce qu’on fait d’habitude, et de taille égale. Ainsi, avec un seul premier pas sur le dallage correctement calculé, il serait possible, en marchant normalement, de ne pas poser le pied entre deux dalles.
Mes doléances sont lancées, je vais donc laisser les choses suivre leur cours. Mais si rien n’est fait rapidement, je passerai aux sanctions, et n’hésiterai plus à jeter mes chewing-gums par terre.
Citoyennement vôtre,
Francis.