Ce week-end fut difficile.
En effet, je l’ai passé avec des gens à tendances nettement plus littéraires que les miennes, et dotées d’une culture philosophique un poil au-dessus de la mienne. Bon, ça s’est très bien passé malgré tout hein, y’avait du côteaux du Layon et un bon gros toutou adorable. Puis on a pas parlé que de philosophie non plus, on a dit du mal de gens, aussi. Mais quand même, ça complexe un peu.
J’essaye de me rassurer en me disant que ce n’est pas de ma faute si je suis totalement handicapé dans le domaine de la réflexion abstraite.
Ce n’est pas ma faute si pour moi Rousseau n’est qu’un grand champion de cyclisme sur piste ou si le seul Marx dont j’ai pu lire tous les écrits est prénommé Groucho.
Ce n’est pas ma faute si ma définition de l’indicible se cantonne à « les chaussettes de l’archiduchèche sont-elles sèches archi-sèches» ou « xīngqījĭ ? » (quel jour de la
semaine sommes-t’on ? en chinois).
Non non non.
C’est bien sûr la faute de mon éducation.
Bah oui, mes cours de philosophie en terminale S ont été plus que succints. Notre bien-aimé professeur nous a donné deux devoirs dans l’année, passait les cours à nous lire ses poèmes d’amour à sa coiffeuse mongole (amour platonique, il était marié), à nous faire écouter du Jean Ferrat, à ne pas être là parce qu’il s’était fait cambrioler sa maison de campagne, puis recambrioler, puis rerecambrioler (il devait rester le papier peint après le deuxième cambriolage), ou à organiser des sorties pour aller voir les nichons d’une actrice de théâtre.
Enfin, c’était pas bien productif ou stimulant, quoi.
Et si j’ai eu 13 au troisième trimestre, c’était pas par mes prouesses dissertationnelles (je n’ai rien rendu, mais ce trimestre, il avait rien donné à faire non plus), mais juste parce que je faisais partie des trois qui venaient en cours (par pitié pour ses cheveux blancs).
Bref, je suis nul en philo, je ne connais rien aux grandes théories fondatrices de la pensée contemporaine, et je ne peux briller dans les salons qu’en citant Manu Larcenet ou Guillaume Bouzard, ce qui n'impressionne pas autant que ça le devrait si on vivait dans un monde juste.
C’est vexant, d'être nul dans un domaine. J'aimerais bien ne pas l'être.
Cependant, dès que je tente d’ouvrir le moindre ouvrage d’un des « grands auteurs » de la philosophie, il se produit en moi un phénomène troublant : tous les muscles de mon corps
se relâchent, mes mains, échappant à mon contrôle, lâchent le livre, mes yeux se ferment tandis qu’un filet de bave coule sur mon menton. Je dois faire une allergie, ou quelque chose comme ça,
c’est pas possible autrement. Et cela me désole, toute cette connaissance, toute cette culture que je n’aurai jamais. Et je suis sûr que je ne suis pas le seul.
Puis si citer Husserl fait le même effet à des gonzesses que ses bouquins ont sur moi, si j'arrive à le maîtriser un peu, ça éliminera mes frais de GHB dans mes prochaines soirées.
Mais j’ai trouvé une solution. Enfin, nous avons trouvé une solution, avec mes camarades de beuverie du week-end (enfin on a pas tant bu que ça, papa, t’inquiète, c’est pour l’effet de style)(par contre on a écouté avec bonheur ton festival de musique graisseuse).
Cette solution, la voilà : puisqu’il est difficile, pour moi et sans doute pour beaucoup d’autres gens, de lire ces œuvres essentielles, il faut évidemment en faire une adaptation cinéma ! Ca a bien marché pour les gens qui n'ont pas réussi à lire le Seigneur des Anneaux, alors pourquoi pas pour ceux qui n'arrivent pas à lire la Phénoménologie de l'esprit ?
Nous pensions donc commencer avec une adaptation de Kant : la Critique de la Raison Pure, avec Sylvester Stallone dans le rôle du Critique. Etant donné qu’il a joué le rôle-titre de Judge Dredd, un personnage issu de manipulations génétiques, il a toute l’expérience du jugement synthétique qu'il faut.
La raison pure, je peux vous dire qu’elle se fera décortiquer, mais en petits morceaux quoi, genre niaquoué dans Rambo 4. Ca va transcender de l’esthétique et de l’analytique dans les moindres recoins de leurs concepts, à grands coups de canon et de paralogisme. Puis ça nous permettra de faire un deuxième épisode Critique 2: le retour de la Raison. (La raison revient, et elle est Pratique), où elle se fera spéculer profond. Si ça attire pas les spectateurs, je comprends plus rien à la psychologie humaine.
Ainsi, la masse aura accès à la culture philosophique, ce qui ne saurait qu’être bénéfique à la société dans son ensemble.
Reste plus qu’à trouver les scénaristes et les réalisateurs.