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9 mars 2012 5 09 /03 /mars /2012 10:42

Il y a quelques temps (des années, je crois), j'avais caressé l'idée d'écrire pour le site d'une copine, consacré à lui faire recevoir des bouquins gratos (où ça, de la mauvaise foi ?). Malheureusement (pour elle, je veux dire), elle a trouvé, l'ingrate, que ce que je lui envoyais n'entrait pas dans sa ligne éditoriale. Donc, comme j'aime pas gâcher, c'est, une fois de plus à vous que j'inflige ça.

 

Voilà donc.

 

 

« On s’en souvient tous, on s’en souviendra, le premier livre coquin qu’on a piqué à papa », chantait (approximativement) le grand Georges.

En ce qui me concerne, cette première expérience fut préparée longtemps à l’avance, les plans tirés précis et exécutés le cœur battant et les mains moites : vérifier longuement que personne n’occupe les environs, choper le bouquin, le glisser sous l’élastique du pantalon et contrôler que le T-shirt est bien par-dessus pour qu’on ne puisse rien voir, puis quitter lentement la chambre des parents, avec précautions, pour éviter que l'objet du délit ne tombe avec un bruit assourdissant, attirant toute la maisonnée outragée. Même si j’avais attendu un moment où j’étais seul à la maison, ce n’était pas une raison pour laisse la moindre chance au hasard.

Je dois dire, à ma grande honte, que le résultat de mon larcin ne fut pas vraiment à la hauteur de mes espoirs. Il portait pourtant un titre équivoque, « Et quand je vous fais ça, vous sentez quelque chose ? », par Robert Sheckley, et la couverture arborait une moitié de fille en maillot de bain, la deuxième moitié (supérieur) étant fourrée dans un gros tube.

Eh bien, malgré ce titre aguicheur, j’ai été, à l’époque (vers 10 ans, je crois), profondément déçu. Le pire dans l’histoire fut que mon père (que l’on ne peut soupçonner de pousser ses enfants à la débauche) m’a conseillé de le lire peu après. Des larmes de honte me montent encore aux yeux quand j’y pense. Au temps pour mes fantasmes.

Néanmoins, en bon fils obéissant, je le lus, cette fois sans chercher exclusivement les cochonneries qui ne s’y trouvaient de toute façon pas plus que lors de ma première lecture. Puis je le relus. En réclamai d’autres du même auteur à mon père. Passai des heures à fouiller les cartons dans les brocantes, afin d’en trouver de nouveaux (avec un certain succès), le cœur battant aussi fort que quand j’étais persuadé de l’illicitité de l’œuvre, tout ça parce qu’il me fallait PLUS de Sheckley. Je l’avoue sans honte, j’étais devenu addict.

Depuis, j’ai ralenti ma consommation, un peu. Je me suis mis au deal. J’ai tenté de convertir des gens (beaucoup), et d’ailleurs, comme vous voyez, je continue. Mon argumentaire est maintenant bien rodé : « RobertSheckleyc’esttrobien, ilfautlelire, tiensjetel’offre, lislealorsc’esttropbienheinheinhein ? »

Oui, Robert Sheckley est à ma bibliothèque ce que Justin Bieber est à la playlist secrète de Lelf. (hein ? Il fallait pas le dire ?)

Bon, je vous l’accorde, ici, vous êtes en droit d’attendre plus de moi que si je vous tenais en face de moi (je ne vous souhaite pas d’être un jour dans cette situation).

Robert Sheckley est, pour dire les choses simplement, le maître de la nouvelle de Science-Fiction. J’allais mettre « de la SF d’humour », mais en fait, non.

Un aspect particulièrement agréable dans la SF de Sheckley, c’est que la science a beau être là, on a les vaisseaux, les extra-terrestres, les robots et tout, elle reste absolument à sa place : elle est là pour fournir un cadre aux aventures d’humains qui ne changent pas vraiment par rapport à ce qu’ils étaient dans les années 50-60. Pour un auteur aussi drôle, capable de faire tomber amoureux un aspirateur d’une jeune femme (dans Et quand je vous fais ça, vous sentez quelque chose ?), ou l’inénarrable (rassurez-vous, il la narre très bien) agence A.A.A. Ace de décontamination planétaire, Sheckley ne parait pas être super optimiste sur la nature humaine.

Ses héros, de superbes américains moyens, ont du mal à faire face à la société qu’on se prépare, que Sheckley décrit parfois avec une surprenante justesse (là, je pense en particulier au Prix du Danger, nouvelle écrite dans les années 60, où le héros participe à une émission de télé-réalité dans laquelle il doit survivre une semaine à une meute de tueurs lancée à ses trousses, tandis que les téléspectateurs peuvent l’aider (par téléphone) ou aider les tueurs… On en est pas encore là, mais on s'approche).

Avec Sheckley, même quand tout va bien, tout ne va pas bien. Soit les oignons sont des carottes déguisées, soit ils sont beaucoup trop oignonnés, comme dirait (peut-être) le dieu Thot-Hermes. C’est jusqu’à l’Utopie qui en prend pour son grade (un Billet pour Tranaï), et pourtant, elle est pleine de bonnes idées, comme le fait de conserver sa femme en stase, pour ne l’en sortir que quand on est d’humeur, et qu’on a du temps à lui accorder, ce qui permet une vie de couple beaucoup plus équilibrée (et en plus, quand on est vieux, on a le plaisir d’avoir une fraîche et jeune épouse).

Excusez-moi. J’en dis trop, ou pas assez. Je pourrais m’éterniser sur chacune de ses petites perles de nouvelles, où la guerre a disparu de la Terre (grâce à la loi sur le Suicide librement consenti), où la schizophrénie est traitée en dispersant les personnalités surnuméraires dans des corps artificiels (Avatar avant la lettre), où l’Enfer fait des promotions exceptionnelles aux potentiels clients, des nouvelles aux titres alléchants comme « Et quand… », « Supertrip du tube digestif au cosmos via mantra, tantra et super-cocktail maison », « les Vacances de Monsieur Papazian », « Au royaume des Carottes, les Oignons sont rois »…

Il faut aussi signaler que certaines de ces nouvelles sont plus du domaine du fantastique, et que Robert le grand a aussi commis des œuvres de fantasy, avec Zelazny comme partenaire (la série du « Démon de la farce »).

Je pourrais aussi citer ses romans. Oméga, un bouquin sur une planète prison, est particulièrement réussi. Les Erreurs de Joenes fait partie d'une sélection du New Scientist des romans de SF injustement méconnus. Mais je vais m'en abstenir, car j'ai juré l'abstinence avant le mariage.

En bref, Sheckley, c’est bon, lisez-en, ou mourez idiots (ou fans de Werber, ce qui revient au même).

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