Putain.
Ca va faire bientôt un an qu’au terme de cinq années d’études, dont deux de prépa bio et six mois de stage, j’ai reçu des blanches mains du directeur de mon département mon diplôme d’ingénieur agronome spécialisé en halieutique, sous-spécialisé en gestion des zones côtières.
Outre le fait que j’ai la forte impression de n’avoir rien fait de la dernière année sans que ce soit totalement de ma faute (en tous cas pour les cours, je parle pas du stage), je crois que je me suis rarement senti autant un usurpateur.
Depuis le début, je le savais : en prépa, il y en avait qui bossaient plus le dimanche que moi toute la semaine. C’est un peu culpabilisant, être un touriste en prépa, heureusement que j’étais pas le seul à la faire en pensant un peu à ce que je ferais l’année suivante, quand j’aurais été viré. Sauf que je l’ai pas été, il suffisait d’une bonne mémoire et d’être capable de recracher sur le papier en 20 pages ce qu’on avait étudié sur 120.
Les concours, au terme des deux ans de prépa, m’ont conforté dans cette idée : ben ouais, avoir la quatrième école grâce à l’anglais, pour un soi-disant scientifique, ça la fout un peu mal. D’autant plus que l’anglais, c’est pas en travaillant mais en lisant des bouquins qui me plaisaient que j’ai progressé. Mais bon, ça y était, plus ou moins consciemment, j’étais en école d’agronomie (et non, en entrant en prépa bio, je n’avais aucune idée que ça allait m’amener là).
Une fois là-dedans, je n’ai pas le sentiment d’avoir moins que les autres mérité mes notes, de toute façon personne bossait de la première année, c’était fait pour profiter du ciné-club (chhhhut) et de la BDthèque.
Bon, ça m’aura permis d’accumuler mille savoirs essentiels pour briller en société, tels que la gestation de la truie, l’hybridation du ray-grass ou la fermentation saucissonnesque.
Wahou.
Vient la deuxième année, dont la moitié au Québec. Ca fout quoi d’après vous un étudiant français en fac francophone au Québec, avec dix-sept heures de cours par semaine ? Ouais, pas grand-chose. Surtout en cours de Boisé urbains et arboriculture, où, ne connaissant rien à rien, je laisse travailler mes petits camarades, et je fais l’introduction de notre rapport (une page sur 20). Un vrai exploit.
En rentrant de ce semestre intellectuellement exténuant, débuts en halieutique, donc. Pourquoi l’halieutique ? Ben, euh, j’aime bien retourner les cailloux, à marée basse. Puis j’ai eu un aquarium, aussi, quelques temps. Et vous ? Ha ouais, des années de plongée, t’es chasseur sous-marin, tu restes en apnée pendant cinq minutes, t’as fait du bénévolat pour faire de la surveillance de requins pèlerin pour une association… Hou pinaise, vous êtes motivés les gens. Je fais quoi avec vous ? Ca fait un peu l’effet de se retrouver au milieu d’un groupe de fans hystériques de curling. Heureusement qu’il y a quelques gens sympas…
Après un stage (comprendre : des pauses café et internet en libre accès 7 heures sur 8), un rapport torché en une semaine, une soutenance dont le point d’orgue sont les réminiscences nostalgiques d’un prof qui m’a connu quand j’étais « haut comme ça », pouf, un diplôme. Et je fais quoi maintenant avec ?
Ben je sais pas.
J’ai l’impression qu’à force de vouloir faire de nous des touche-à-tout, ils m’ont pas empêché de rester un bon à rien.
Puis hop, un an qui passe je sais pas où, et maintenant, me voilà en fac de chinois. Pourquoi ? Parce que j’y connais rien. Là encore, par rapport aux autres, j’ai rien à foutre ici. En plus, ils bossent.
Même quand on me propose un job, je me sens complètement pas du tout légitime dedans. Que j’hésite à savoir si ce serait du foutage de gueule ou une insulte vis-à-vis des autres parties concernées. Ca incite pas à se dire qu’on devrait ptet candidater.
En fait, je crois que la seule chose que j’ai méritée, c’est mon gras. Lui au moins, je sais que s’il est là, c’est parce que je l’entretiens depuis toujours, avec amour, je le travaille du matin au soir, je le défends, envers et contre tout.
Pfiou, l’honneur est sauf, j’ai pas à me flinguer. Tout de suite.
(de toute façon, j’ai rien fait non plus qui mérite de se finguer. Triste monde.)