S’il est une chose à mettre au crédit de Jean-Pierre Pernaut, en plus de sa coupe de cheveux impeccable, c’est bien son amour des petits métiers de nos campagnes.
Hééé oui, qui, à part lui, s’intéresse encore au devenir des maréchaux-ferrants, des santonniers ou des fabricants de brosses en poils de blaireau authentiques ?
Personne, bien sûr.
Ceci dit, nombreux sont les gens qui nourrissent une passion incandescente envers le manger, et aimeraient sans doute en savoir un peu plus sur les métiers de la bouche, et en particulier, ceux de ces métiers qui disparaissent, parce que le morbide, les gens aiment bien, quand même, suffit de regarder les entrées à Saw IV. Et ceux-là, on les voit pas à la télé.
J’ai donc décidé, par le présent article, de vous présenter quelques métiers de la nourriture injustement oubliés de notre société où l’urbanisme galopant fait cracher au visage buriné par une vie de dur labeur de leurs derniers représentants dont les mornes plaines ont autant oublié la fonction que moi le début de ma phrase.
Mais bon, l’essentiel est de faire passer le message : nous allons nous intéresser aux délaissés du JT, ceux que même JPP s’en souvient plus (je ne parle pas de l’ancien footballeur aujourd’hui entraîneur de Lens, qui se voit adjoindre les services de Daniel Leclerq, ce qui me permet de mettre une note d’actualité dans un sujet suintant le passé par tous les pores, ce qui n’est pas un mal en soi, mais même, l’actualité a l’avantage d’être plus présentable, hahaha j’ai fait un jeu de mots vous avez vu ?).
Le premier des grands oubliés que j’aborderai aujourd’hui est l’épépineur de groseilles, artisan itinérant, embauché par les grands-mères voulant éviter à leurs petits enfants la désagréable sensation du pépin de groseille coincé entre les dents, qu’on tente vainement de dégager de la langue, allant des fois jusqu’à l’aphte. Cette profession, reconnue d’utilité publique en 1276 par un édit royal (on murmure que la Guilde des Artisans Confituriers-Geléiste ne serait pas pour rien dans cette reconnaissance), vit sa fin aux alentours de 1860, avec l’invention par Jérémie-Victor Opdebec (futur créateur de la pince à linge) de machines à épépiner les groseilles. Une fois de plus, la technologie mettait fin à une profession respectée.
Les rémouleurs de céleris, qui ne doivent leur survie précaire qu’aux contacts que leurs représentants ont avec les hautes sphères de l’Education Nationale, risquent également de bientôt disparaître. De plus en plus, les cantines préfèrent les macédoines informes aux tons pastels au céleri-rémoulade qui firent le dégoût de nos grands-parents (mais leur permettait d’être immunisés contre les pires ignominies culinaires, comme les choux de Bruxelles ou les endives au gratin).
Toujours en sursis, on trouve les charcutiers-métreurs. Ces scientifiques méconnus sont à la base de découvertes importantes, comme le calcul par Alphonse Allais de la quantité de merde ingérée par les français à chaque Noël. Sans leur patient travail de recueil de données sur la taille des boudins consommés par les français et les calculs de moyenne de crotte contenue dans les boyaux desdits boudins, cette étude aurait été rigoureusement impossible.
Hélas, aujourd’hui, la plupart des découvertes ont été faites dans ce domaine, et les charcutiers-métreurs n’ont plus pour survivre que le rôle de consultants dans les concours de saucisses. Je signale au passage le record que détiennent les charcutiers de Langogne.avec une saucisse de cochon de 23,162 kilomètres, vive la Lozère !
Un autre de ces métiers dont les représentants se font rares, c’est celui de dépanneur d’escalopes. Lorsque l’on invite un ami ou un patron à manger, et que l’on a amoureusement préparé des escalopes milanaises, mais qu’il s’avère que l’ami ou le patron a horreur des escalopes panées, tout n’est pas perdu, le dépanneur d’escalopes peut vous sauver la soirée !
Malheureusement, les tarifs de dépannage d’escalopes étant assez élevés (le matériel est pointu, la formation longue et fastidieuse), les gens préfèrent aujourd’hui se faire livrer une pizza et donner l’escalope au chien, avec la panelure. Triste monde.
Voilà, j’espère que ce rapide survol vous aura permis de prendre conscience de la déliquescence du tissu social des travailleurs de la nourriture, et que la prochaine fois que vous achèterez un
pot de gelée de groseilles, vous vérifierez soigneusement que l’épépinage a été réalisé dans les règles de l’art par un petit artisan français. Vous ferez acte de charité et oeuvrerez ainsi pour
la sociodiversité gastronomique.
Edit : comme l'a justement fait remarquer l'Oncle Dick, je n'ai pas cité mes sources. C'est mal. Rendons au plus grand des Francis (après Huster) ce qui lui revient, à savoir la paternité
intellectuelle du dépanneur d'escalopes, ainsi que de l'épépineur de groseilles de Jérémie-Victor Opdebec. Quant au chacutier-métreur et au rémouleur de céleri, si quelqu'un sait qui en est
l'inventeur, je lui serais extrêmement reconnaissant.