Aujourd'hui, mon enfant, je souhaite rendre hommage sur ce blog. Hommage aux poissons, par qui je vais peut-être gagner des sous, et qui au moins m'auront fait sortir de la spirale de la trouille de téléphoner à un employeur potentiel. Donc, voilà.
Il y de cela bien des années, mon enfant, j'étais jeune, fougueux et encore altruiste. Con, sans doute. Déjà, ajouteras-tu dans une tentative minable de faire un bon mot. Mais je passerais dessus, par pure charité chrétienne.
A cette époque, j'étudiais. Les sciences me tendaient ardemment leurs bras laiteux, et je répondais avec fougue à leurs embrassades farouches. Nous ne faisions qu'un. J'envisageai sereinement nos noces futures, une thèse, des chiffres, des équations, des professeurs, des rapports confidentiels au contenu troublant.
Et pourtant.
Et pourtant, ce que j'aimais, dans les sciences, c'était quand je pouvais y glisser une cornerie.
Alors, lorsqu'une mienne camarade, dans l'espoir secret (et vain) que j'y verrais des avances à connotation scabreuses, me demanda, les cils papillotant et la bouche en coeur, de l'aider dans sa rédaction d'un mémoire sur l'hoplosthète rouge, sa vie, son oeuvre, je ne sus dire non. Pour l'amour de l'art de la science.
Ainsi, je rédigeai une somptueuse introduction à sa monographie. Pour toi, mon enfant, la voici.
L’hoplosthète rouge est le poisson de toutes les contradictions : son nom pourrait laisser penser qu’il a des tendances communistes, comme sa propension à vivre en banc, cependant, son petit nom commercial est l’empereur. N’y a-t-il pas là le plus merveilleux des paradoxes ? eh bien non. En effet, ce nom lui a été donné par des exploiteurs de poissons libéraux de la pire espèce. Ceci est prouvé par, d’une part, la chute vertigineuse des stocks exploités, d’autre part par la sale gueule qu’il a, les impérialistes ayant tendance à se reconnaître dans les créatures les plus répugnantes (comme les manchots empereurs, cette maudite race de voleurs de harengs), et ceci prouve donc bien cela.
En fait, l’hoplosthète rouge est bien marxiste-léniniste, mais seulement car il a pu constater par lui-même les méfaits du capitalisme, lorsqu’en 2550 avant JC, l’un d’entre eux a vendu la civilisation Hoplosthète aux Atlantes pour une bouchée de pain, denrée alors très prisée, mais rare en raison du manque de farine adéquate aux grandes profondeurs. Depuis, les hoplosthètes vivent dans une misère d’autant plus noire que leur présence n’est constatée qu’à partir de 1000m, loin en dessous de la zone euphotique.
Cette misère les a poussés dans les bras de gourous peu scrupuleux, qui les ont poussés, ces dernières années, au suicide collectif dans les chaluts du Grand Capital. Nous allons voir par la suite à quel niveau en est arrivé cette situation dramatique, d’un point de vue humain aussi bien qu’économique.
Evidemment, elle n'en voulut pas. Elle prit prétexte d'un retard pour ne pas le soumettre aux professeurs. Comme si elle avait voulu autre chose qu'une occasion de me parler, de se rapprocher de mon corps pur à la peau veloutée. Pfff.
Qu'à cela ne tienne, lecteur, cette introduction, je te la dédie.