Pour Cochon
Aujourd’hui, dans ces colonnes et dans un élan d’amour inextinguible, j’ai décidé de parler du cochon. Car quel animal saurait plus que lui mériter la gloire et la reconnaissance que lui vaudront sa chronique sur ce blog ?
D’aucuns me répondront, d’un ton sec et péremptoire : « Pourquoi pas l’oryctérope ? »
A quoi je répondrais, calme et mesuré comme je sais l’être : « pas l’oryctérope parce que Vialatte lui a donné ses lettres de gloire, et que par ailleurs, l’oryctérope n’est rien d’autre qu’un cochon au groin monté en graine et au goût de fourmi, donc un hommage au cochon ne saurait que déteindre positivement sur son cousin l’oryctérope, fermons les guillemets et mettons un point ».
Parlons du cochon, donc. Le cochon est l’ami de l’homme, et même de l’amateur de Feng-shui. En effet, il peut se targuer de présenter deux (charmantes) oreilles orientées Est/Ouest balançant parfaitement un groin (humide et amical) et une queue en tire-bouchon formant l’axe Nord/Sud, et ne s’en tient pas là.
Ses pattes sont également disposées d’une manière agréable à l’œil et favorable à un déplacement gracieux et chaloupé : la patte avant gauche est située à l’extrémité d’une diagonale dont l’autre sommet est la patte arrière droite. Cette diagonale croise en son milieu l’autre diagonale PAD / PArG (vous me pardonnerez l’usage de ces termes scientifiques), réjouissant le géomètricien.
On trouve également à l’actif du cochon un éjaculat d’un demi-litre, ou 0,88 pinte (anglo-saxonne), et une gestation de trois mois, trois semaines et trois jours, qui a inspiré le titre de la dernière Palme d’Or à Cannes. On voit donc qu’en plus du mathématicien, le cochon inspire le cinéaste.
Par ailleurs, là où le rhinocéros barète vulgairement, où le renard roux glapit comme une anglaise aux grandes dents pincée au postérieur par un malappris et où la girafe n’a rien à dire, le cochon grouine avec distinction. Son Gruiiiiii, solennel, impérial, n’accepte aucune concession, quitte à atteindre les 115 décibels pour affirmer ses idéaux, toujours justes, car le cochon est un humaniste.
Le cochon porte également d’autres noms des plus poétiques, naissant ravissant porcelet pour évoluer en cochonnet (la pétanque est un des rares sports à avoir reconnu la grandeur du cochon). Après son sevrage, épisode déchirant de séparation, le cochonnet devient nourrin, ou cochette s’il s’agit d’une demoiselle.
Le cochon est aussi un auxiliaire essentiel à l’homme dans nombre d’activités : fouillant les sous-sols périgourdins, son groin indique à l’homme qu’il guide la présence des truffes, petits animaux discrets et délicieux. C’est ainsi par la grandeur d’âme du cochon, qui, magnanime, laisse à l’homme le fruit de ses recherches, que l’on peut faire des omelettes aux truffes, des truites au beurre de truffes ou du pâté aux truffes.
En ce qui concerne ce dernier, la contribution du cochon ne se limite d’ailleurs pas aux truffes : l’homme, toujours ingrat, tuera le cochon après la cueillette. Il lui coupera le cou sans prêter attention à ses cris déchirants, touillera le sang dans une bassine en cuivre avec du vinaigre (il pourra même touiller dans plusieurs sens, contrairement au touilleur d’aligot, qui risquerait alors de gâcher irréparablement sa concoction), brûlera ses soies au chalumeau à gaz, dévidera ses boyaux pour les brancher sur le robinet du jardin, et le découpera en morceaux avec le grand couteau conservé en haut de l'armoire, aiguisé pour l'occasion.
C’est ainsi que le cochon, après une vie de services, viendra garnir nos garde-manger de délicieux mélanges de viande maigre et de grasse couenne, à la fois tendre et craquant, salé, appelant le débouchage d’une bouteille de vin rouge de bon aloi pour une dégustation entre bons amis, qui, s’ils ont du cœur, boiront à la santé du noble cochon.